Politique

23 mars 1965, le Maroc bascule dans le sang

Par: Ismail ALAOUI TAHIRI

57 ans après, retour sur un événement mémorable et un souvenir-écran de l’histoire d’un Maroc fraîchement indépendant
Le mardi 23 mars 1965, des manifestations estudiantines ont éclaté dans plusieurs rues de la ville de Casablanca, lorsque le ministre de l’éducation nationale, Youssef Bel-abbés, signe une circulaire ministérielle interdisant aux élèves âgés de plus de 16 ans l’accès au second cycle. Encadré par l’Union Nationale des Etudiants du Maroc UNEM (à cette époque elle était une instance estudiantine proche de de l’Union Nationale des Forces Populaires UNFP), et soutenu par la classe populaire défavorisée, le soulèvement des lycéens contre l’atteinte au droit à l’enseignement, s’est ensuite étendu à travers plusieurs villes du Royaume.

1965, le Maroc, dix ans d’indépendance ​

Dix ans après son indépendance, le Maroc a connu une succession d’événements importants, surtout le décès du roi Mohammed V en 1961, l’intronisation du roi Hassan II et ensuite la guerre des Sables contre l’Algérie en 1963.

Mohamed Fekri, âgé de 86 ans, militant du mouvement marxiste léniniste (nommé mouvement du 23 Mars) et détenu politique (1974-1989), raconte que « En 1964, le Maroc a connu le grand procès du complot du 16 juillet 1963, où onze accusés ont été condamnés à mort, surtout des figures emblématiques de l’opposition de l’époque. Aussi, plusieurs membres fondateurs de l’armée de libération nationale (ALN) ont été assassinés ou arrêtés».

« Le soulèvement des lycéens a été déclenché dans un temps de tension extrême entre le jeune roi et l’opposition. Hassan II cherchait à asseoir sa domination absolue, à s’emparer du pouvoir et à éliminer l’opposition. Une série de dossiers et de différends non résolus ayant empiré la relation entre la monarchie et le Mouvement national, surtout, avec la dissolution du gouvernement d’Abdallah Ibrahim, le boycottage du référendum sur la Constitution de 1962», explique Abderrahmane Choujar, âgé de 86 ans, militant de l’UNFP et détenu politique ( 1971-1977).

Les lycéens se révoltent face à une répression sanglante

Lors de son 8ème Congrès, l’Union Nationale des Etudiants du Maroc (UNEM), fait explicitement appel au renversement du pouvoir d’Hassan II. Cette organisation estudiantine fut un syndicat très puissant, dominé par la jeunesse de l’Union Nationale des Forces Populaires UNFP. En juin 1963, le roi décrète un Dahir, interdisant à l’UNEM d’encadrer les élèves. Deux ans plus tard, la confrontation entre le régime et l’opposition s’était cristallisée. Le mouvement des lycéens, politisé et encadré par l’UNEM, ne tardera pas à réagir.

« Tout avait commencé à partir d’un terrain de football au lycée Mohammed V, 15 000 lycéens ont protesté contre la circulaire ministérielle et défendre ainsi leur droit légitime à l’enseignement. Les manifestants se sont dirigés par la suite vers le quartier populaire Derb Sultane. Rejoints par leurs parents, des milliers de citoyens, de travailleurs et de chômeurs…, les protestations se sont ensuite transformées en révolution sociale populaire », ajoute Mohamed Fekri.

« La situation est devenue incontrôlable. Les contestations ne sont plus pacifistes, des bus et des voitures brûlés, des magasins pillés, des slogans ouvertement hostiles à l’égard du roi, le qualifient de « dictateur » et de « tyran » … Une répression sanglante menée par le régime à l’égard des protestataires. L’artillerie lourde a été convoquée à l’appui des forces de l’ordre pour ramener le calme, mais les soldats tiraient sur tous ceux qui se déplaçaient dans la rue, faisant ainsi des dizaines de morts et de blessés», rapporte Abderrahmane Choujar.

Jamais une date n’aura été marquée dans la mémoire marocaine par une telle série d’événements et par un tel carnage. Le nombre exact des décès reste toujours contesté avec des milliers de disparus. Et la plupart des victimes ont été enterrées dans des fosses communes. Après ce bain de sang qui salit les mains de ce jeune régime, Hassan II décrète une amnistie générale. En juin, le roi annonce l’état d’exception et la dissolution du Parlement. Le 29 Octobre 1965, les ébullitions se sont accrues par l’enlèvement à Paris, du militant nationaliste de la gauche, Mehdi Ben Barka ; des années plus tard, le mouvement marxiste léniniste 23 mars est né à la mémoire de cet événement.

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