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Tiznit : l’argent en héritage, l’artisanat en avenir

yassine hannoune

Dans les souks parfumés de Tiznit, le tintement délicat des outils d’artisans résonne comme une prière ancienne. Ici, au cœur du sud marocain, l’orfèvrerie en argent n’est pas un simple métier : c’est un langage, une mémoire vivante et un acte de résistance contre l’effacement des identités. Dans cette ville fondée au XIXe siècle par Moulay Hassan Ier, l’argent a trouvé sa capitale, et les artisans, leur sanctuaire.
Des colliers gravés aux symboles berbères aux poignards décorés portés lors des cérémonies de mariage, l’orfèvrerie à Tiznit exprime une esthétique profonde liée à la terre, à la femme et aux rituels. Cet artisanat ne se contente pas d’embellir : il raconte. « Chaque bijou contient une partie de notre âme collective », témoigne Lalla Khadija, artisane depuis plus de vingt ans. « On ne vend pas un simple bijou, on transmet un héritage. »
Les formes géométriques, les gravures mystérieuses et les motifs ancestraux forment une grammaire visuelle unique, que chaque artisan apprend dès son jeune âge, parfois dans l’atelier familial, parfois dans les bancs de l’Institut des métiers d’art de Tiznit.
Fondé sous l’impulsion du regretté maître-artisan et pédagogue Abdelaziz El Abyad, l’Institut spécialisé d’orfèvrerie de Tiznit a marqué une rupture décisive : transmettre le savoir-faire, oui, mais aussi former des créateurs capables de penser l’artisanat comme levier économique et culturel. Grâce à une pédagogie innovante alliant techniques traditionnelles et design contemporain, les jeunes artisans sortent désormais outillés pour conquérir de nouveaux marchés.
« Ce que Tiznit a su faire, peu de villes au Maroc l’ont réussi : transformer une tradition en avenir », affirme Mohamed Azroual, chercheur en patrimoine vivant.
Depuis plus d’une décennie, le Festival Timizar de l’argent donne à voir l’orfèvrerie dans toute sa splendeur. Expositions, démonstrations en direct, rencontres entre artisans du Maroc et d’ailleurs… Ce rendez-vous annuel attire chercheurs, touristes, designers et curieux. L’événement dépasse le simple folklore : il devient un outil stratégique de développement local.
Soutenue par la commune, les coopératives féminines et les acteurs régionaux, cette dynamique permet à de nombreux jeunes de rejoindre des ateliers, de créer leurs propres marques ou de s’associer dans des projets d’économie sociale.
Malgré cette effervescence, les obstacles sont réels : manque de circuits de distribution, absence de labellisation officielle des produits, et rareté des aides financières. Pourtant, l’espoir demeure. En s’inscrivant dans une stratégie nationale de valorisation du patrimoine, l’orfèvrerie en argent peut devenir un levier d’insertion sociale, d’autonomisation des femmes et de rayonnement international.
Le rôle des médias, aussi, est crucial. Documentaires, reportages, et contenu digital peuvent aider à faire émerger ces talents locaux et à sensibiliser les jeunes à l’importance de préserver cette richesse.
Cet article se veut également un hommage à Abdelaziz El Abyad, disparu mais dont l’empreinte reste vivante dans chaque bijou, chaque élève, chaque projet culturel lié à Tiznit. Son engagement a permis de faire passer l’orfèvrerie de la rue à l’école, du passé au futur, de l’artisanat à l’innovation.
L’argent à Tiznit, ce n’est pas qu’un métal : c’est une identité, une source de dignité, un pilier de développement durable. Et tant que les marteaux frapperont l’argent dans les ruelles de la médina, c’est toute une culture qui continuera à briller.

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