Le traitement médiatique du conflit algéro-marocain
Par: Ismail ALAOUI TAHIRI
Entre objectivité professionnelle et manipulation politique
Depuis le vendredi 13 novembre 2020, date de la prise de contrôle du passage frontalier de Guerguerat par le Maroc et la reconnaissance des Etats-Unis de la souveraineté et de la marocanité du Sahara, au mois de décembre, le conflit algéro-marocain reprend à nouveau La Une de l’actualité des médias. Les deux pays se livrent à une féroce guerre politique et diplomatique mais surtout médiatique instrumentalisant la presse des deux Etats faisant en sorte que le « journalisme de conflit » soit l’apanage d’une éventuelle montée armée.
Frontière entre le Maroc et l’Algérie, dans la région d’Oujda| Fadel Senna / AFP
Un conflit devenu tenace et intense
Les relations entre « les frères ennemis » traversent une période de tension extrême, menaçant la sécurité et la stabilité de la région. Le contexte géopolitique actuel est ainsi le résultat d’une série de dossiers non résolus ayant envenimé les relations entre les deux voisins : La prise de contrôle du passage frontalier de Guerguerat par le Maroc, la reconnaissance des Etats-Unis de la souveraineté et de la marocanité du Sahara Occidental, les accusations d’Alger contre Rabat de « déstabilisation du pays », « la provocation des incendies des forêts », la normalisation des relations avec Israël, l’affaire Pegasus, les déclarations du représentant du Maroc à l’ONU , OMAR HILAL, portant sur le droit d’indépendance de la Kabylie, la mort de trois algériens dans un bombardement dans la zone disputée du Sahara occidental et l’arrêt d’acheminement du gaz naturel algérien par le Maroc… une panoplie d’allégations et d’accusations de toutes parts et dans plusieurs instances diplomatiques internationales se sont échangées de trébuchets. Déjà la rupture totale des relations bilatérales entre les deux Etats et l’interdiction formelle des avions marocains de l’espace aérien algérien est un début vers un potentiel conflit armé.
Une guerre médiatique acerbe
Ce problème d’ordre géopolitique a pris une nouvelle cadence qui ne fait que de l’allumer davantage. L’allusion renvoie aux « guerres médiatiques » agencées et administrées par une presse qui se voit très concernée, non seulement par sa fonction d’information mais aussi par son devoir nationaliste de mobiliser les opinions publiques des deux pays dans ce conflit à grand risque. Cette situation a ravivé les querelles entre les journalistes des deux pays dont la majorité s’est emballée dans une guerre de plumes à travers les médias traditionnels, réseaux sociaux et médias numériques.
Le conflit traité par la presse publique et privée des deux pays
Quant au traitement journalistique de la presse algérienne, il s’accorde avec l’esprit et la doctrine militaire de l’Etat qui use évidemment de ce conflit comme raison de légitimité politique et institutionnelle. A cet effet, la présence et la propagation du discours étatique officiel dans la presse serait plus palpable en Algérie qu’au Maroc. Cela est amplifié par le fait que le régime militaire en Algérie s’accapare la communication globale sur le conflit.
Cela ne veut pas dire aussi qu’au Maroc il est donné libre cours aux journalistes de communiquer en toute aisance sur le conflit, au risque de toucher sa sensibilité stratégique, mais au moins, et différemment qu’en Algérie, l’armée marocaine se tient à une grande distance vis-à-vis des médias laissant la presse nationale jouer délibérément son rôle d’information mais aussi sa mission de défendre les causes nationales (la grande majorité des journalistes marocains considèrent que le conflit devrait s’amoindrir en harmonie avec la volonté politique officielle).
Le conflit traité dans la presse écrite, audiovisuelle et numérique
Si la presse écrite traitant du conflit tend globalement à cibler les élites politiques et les instances d’influence nationales et internationales, l’audiovisuel et le numérique, quant à eux, tablent sur une communication de masse en usant de discours nationalistes émotifs.
La presse écrite des deux pays, et par des doses différenciées, essaient de légitimer les positions historiques et politiques officielles. Elle use généralement de faits d’histoire, de culture et de politique pour justifier le positionnement du pays dans ce conflit. Cela impacte globalement le discours médiatique qui cherche à être plus savant que vendeur. Les « dérapages discursifs » sont plus notés dans l’audiovisuel et le numérique où l’objectif et de persuader plus que convaincre les opinions. Quitte à faire usage de « faux arguments » comme légitime défense.
En guise de constat, le conflit algéro-marocain a souvent investi les médias de tout genre. Le style et ses outils diffèrent entre les deux parties, Et la cause nationaliste a bel et bien influencé tout un système médiatique qui a été vulnérabilisé par un conflit qui a persisté trop longtemps.
