Maroc

À Marrakech, un nouveau Wali… et un changement de ton ?

La révocation de l’ancien Wali de la région Marrakech-Safi, suivie de la nomination de Rachid Benchikhi, qui demeure gouverneur de la province d’Al Haouz, n’a rien d’un événement exceptionnel en soi. L’administration marocaine connaît régulièrement des mouvements au sein des hautes fonctions territoriales.

Pourtant, à Marrakech, cette transition a suscité un écho inhabituel. Non pas en raison d’un désaccord officiellement exprimé avec la gestion précédente, mais en raison du basculement soudain du discours partagé par plusieurs acteurs locaux : journalistes, associations, figures politiques.

Entre le déni initial de la révocation, les déclarations de fidélité au Conseil Communal, et le retour d’intérêt pour des dossiers sensibles – tels que l’état d’avancement des projets d’infrastructure de la ville ou les soupçons d’enrichissement illégal visant certains acteurs – une question majeure s’impose : que révèle ce changement de discours sur les rapports de pouvoir à Marrakech ?

Un changement administratif ordinaire ?

À l’image de la Maire et de son Conseil, l’ancien Wali de Marrakech n’était ni particulièrement contesté, ni identifié comme un moteur de transformation pour la ville. Citoyens comme visiteurs faisaient parfois part de leur frustration face à la qualité des services publics, à l’état des infrastructures ou au rythme lent de certains projets. Mais ces critiques restaient isolées, rarement relayées dans un climat de réserve ou de désintérêt médiatique.

Plus encore que cette inefficacité perçue, c’est le silence prolongé autour de ces dysfonctionnements qui interroge.

Des réactions ?

Ce qui a surpris nombre d’observateurs, ce sont les réactions particulièrement vives et émotionnelles de certains médias régionaux et élus locaux à l’annonce du changement de Wali. Certains ont évoqué des « rumeurs malveillantes », niant même la réalité de la nomination de Benchikhi. D’autres ont exprimé leur refus de « changer d’équipe », comme si une décision administrative venait troubler un équilibre plus profond — d’ordre personnel, relationnel ou stratégique.

D’où vient cette crispation ? Relève-t-elle d’une fidélité institutionnelle sincère ? Ou bien traduit-elle un attachement plus complexe, fondé sur des habitudes, des intérêts, voire des arrangements officieux désormais fragilisés par la réputation d’intransigeance du nouveau Wali, Rachid Benchikhi ?

Un style de gestion qui dérange autant qu’il rassure ?

Depuis son installation à Marrakech, le nouveau Wali, Rachid Benchikhi, a imposé un rythme de travail soutenu, fondé sur la rigueur et une présence régulière sur le terrain. Loin de se limiter à la transmission de directives, il assure, via l’organisation de la wilaya, un suivi personnel de plusieurs chantiers en souffrance, parmi lesquels la réhabilitation de la place Jamaâ El Fna, l’aménagement du quartier Guéliz et la création d’un parking souterrain place El Harti.

Cette approche pragmatique est saluée par une partie des citoyens et des professionnels locaux, qui y voient la fin d’un certain laxisme administratif et le retour d’une gouvernance orientée vers les résultats. Mais pour d’autres, elle a fait l’effet d’un électrochoc.

Certains y lisent un message implicite mais ferme, notamment à l’égard de pratiques passées jugées opaques. Des acteurs jusque-là peu exposés se retrouvent, depuis quelques semaines, au centre de l’attention médiatique.

Pourquoi ce réalignement médiatique ?

Fait notable : depuis l’arrivée du nouveau Wali, la presse locale multiplie les articles, les enquêtes et les alertes sur des dossiers sensibles, portant sur l’enrichissement présumé de certains élus, la gestion contestée de projets publics ou encore les conflits d’intérêts dans l’aménagement urbain.
Or, ces sujets étaient jusqu’ici largement absents du débat local.

Que s’est-il passé ?

Est-ce l’approche des élections qui agit comme déclencheur ? Ou le signal que les lignes de pouvoir se déplacent ?

Ou bien le signe d’un réalignement stratégique de certains acteurs, conscients que la dynamique du pouvoir local évolue ?

Plus profondément encore : pourquoi la presse, certaines associations et même quelques élus revendiquent-ils aujourd’hui une exigence d’éthique et de transparence qu’ils exprimaient peu auparavant ?

Des interrogations qui restent ouvertes

Au fond, ce n’est peut-être pas le changement de Wali en lui-même qui importe, mais ce qu’il révèle d’un système politique longtemps structuré autour de logiques de consensus discret, de silence sélectif et d’intérêts croisés.
Pourquoi certains médias évitaient-ils hier les sujets qu’ils dénoncent aujourd’hui ?

Pourquoi des élus ressentent-ils soudain le besoin de justifier publiquement leur patrimoine ou leurs choix de gestion ?

Et pourquoi tant d’associations affichent-elles aujourd’hui leur loyauté envers des figures politiques, alors que leur rôle devrait être, avant tout, de défendre l’intérêt général ?

Un changement plus profond qu’il n’y paraît ?

La nomination d’un nouveau Wali n’est, en principe, qu’un épisode organisationnel dans la vie d’une région. Mais à Marrakech, les réactions qu’elle a suscitées en disent peut-être plus long que le changement lui-même. Un cycle est-il en train de se refermer ? Une nouvelle culture de gestion publique peut-elle vraiment s’imposer ? Ou faut-il s’attendre à des résistances croissantes de la part de ceux que la rigueur du Wali Benchikhi dérange ?

Une chose semble claire : le ton a changé à Marrakech. Et dans ce type de glissement discursif, les Marrakchis attentifs savent que la neutralité absolue est une illusion, seule l’objectivité, exigeante mais assumée, peut faire autorité.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page