Lettre ouverte à Monsieur le Chef du Gouvernement

Le parc naturel n’est pas et ne peut pas être le problème… mais bien la logique du repli : message sur le développement différé des territoires de l’arganeraie
Monsieur le Chef du Gouvernement,
Avec ma haute considération,
Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis les profondeurs de l’Anti-Atlas, non pas uniquement en raison de la controverse suscitée par le projet du Parc Naturel de l’Anti-Atlas Occidental, mais surtout parce que ce projet est devenu un symbole d’un malaise plus large : celui de l’abandon automatique de toute initiative de développement dès qu’une opposition se manifeste, au lieu de transformer ces moments de refus en opportunités de dialogue et de construction de consensus.
En effet, le dernier numéro du Bulletin officiel a annoncé huit décrets, signés par Monsieur Ahmed El Bouari, Ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, portant création de six parcs naturels et de deux réserves naturelles dans plusieurs provinces du Royaume.
Ce qui interpelle, c’est la non mention du parc naturel de l’Anti-Atlas dans les provinces de Chtouka et Tiznit, alors même qu’il avait fait l’objet d’une enquête publique depuis la fin décembre 2023.
Cette omission semble indiquer un retrait pur et simple du projet, suite aux objections exprimées localement, aussi bien par certains habitants que par des élus.
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Monsieur le chef du gouvernement,
1. Le parc est un symptôme, non une crise isolée
Ce projet n’aurait jamais dû devenir une crise, s’il avait été abordé comme une opportunité pour rétablir la confiance, résoudre la problématique foncière chronique, et instaurer un développement environnemental équitable au cœur du territoire de l’arganeraie.
Mais au lieu de cela, on assiste à la répétition d’un scénario où chaque opposition entraîne un repli, sans qu’aucun effort ne soit consenti pour ouvrir un dialogue institutionnel, creuser pour comprendre l’origine des inquiétudes, ou réajuster le projet dans un esprit « gagnant-gagnant ».
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2. Le statut foncier « akal », est la racine du problème et non pas le projet
Ce n’est pas la nature du projet du parc qui pose problème, mais bien un contexte foncier incertaint, fragile et complexe : en effet les habitants vivent depuis des siècles sur des terres non titrées, qu’ils exploitent selon des usages locaux et un système coutumier spécifique, unique et bien organisé.
Leur droit ne peut donc pas être réduit aux documents formels, mais doit aussi reconnaître les droits cotumiers et s’appuyer sur la continuité historique de l’usage. Certains dahirs datant de 1925 reconnaissaient d’ailleurs la spécificité du territoire de l’arganeraie par rapport aux autres forêts.
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3. Ce qu’il faut : c’est le du courage de faire face, pas le confort du repli
Monsieur le Chef du Gouvernement,
La responsabilité ne se mesure pas au nombre de projets annoncés, mais à la capacité de faire face aux crises, et de bâtir des ponts avec les populations pour dissiper les doutes, sécuriser et inventer des solutions.
Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins :
Soit nous poursuivons une politique de repli face à chaque refus, sans en interroger les causes profondes, soit nous amorçons une politique de développement nouvelle et volontariste, fondée sur le dialogue, la régularisation foncière, et la reconnaissance des pratiques et de l’histoire locales comme leviers pour plus de justice environnementale.
Monsieur le Chef du Gouvernement, en tant que fils de ce territoire, vous connaissez très bien ces réalités de l’intérieur.
Ce dont le territoire de l’arganeraie a besoin :
Une opération d’assainissement et immatriculation du foncier dans l’Anti Atlas, gratuite pour tous les douars,
La reconnaissance du droit de propriété de la terre selon la coutume et en lien avec l’histoire,
Une loi spécifique encadrant les zones de l’arganier, différenciée du régime forestier classique,
Un dialogue transparent avec les habitants, la société civile et les élus,
Une relance des projets basée sur des contrats justes, et non des décisions imposées d’en haut.
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4. Le développement sans confiance est un leurre
On ne peut pas bâtir la confiance si chaque projet ambitieux est abandonné à la première contestation.
Et on ne peut pas considérer le silence comme une victoire politique.
Gérer le désaccord, dialoguer et construire des solutionsc avec les habitants : voilà le socle d’une politique environnementale juste et durable.
Les populations de l’Anti-Atlas ont prouvé, malgré la marginalisation, leur conscience écologique et leur volonté de contribuer, à condition d’être traitées comme des partenaires et détenteurs de droits non comme une menace.
Le parc n’a jamais été une menace… mais une opportunité, si l’on avait su l’aborder par le dialogue, et non par la méfiance.
Dès lors, l’absence du parc dans les décrets récents n’est pas une simple omission technique, mais un signal inquiétant : celui d’un climat de défiance renforcé, d’une créativité locale méprisée, et d’une précarité accrue dans des zones en quête de dignité et de développement.
Bâtissons donc, Monsieur le Chef du Gouvernement, un nouveau modèle de gouvernance pour les territoires dits « marginaux », fût-ce au prix d’un effort et d’un temps considérables — fondé sur la reconnaissance, le dialogue et la justice.
Avant que nous ne perdions tous : l’environnement, les opportunités… et l’espoir.
Veuillez agréer, Monsieur le Chef du Gouvernement, l’expression de ma considération distinguée.
Mohammed Tafraouti
Activiste écologiste
Agadir, le 28 juin 2025