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Entre la génie de la pensée et l’audace de l’avenir : la Méditerranée à l’épreuve de la science et des médias

Atelier en Tunisie sur la protection de la Méditerranée et la gestion durable des ressources marines

 

Tunis: Mohammed Tafraouti

À l’entrée de la Cité des sciences de Tunis, se dresse face au visiteur une tête de dinosaure géante, mâchoire ouverte et dents acérées, témoin silencieux d’époques où les créatures régnaient avant de disparaître, bien avant que l’homme ne s’ouvre à la science et à l’avenir.
Elle raconte en silence comment les espèces dominaient puis s’éteignaient, laissant derrière elles la question de la survie et des limites de l’équilibre. Ce vestige fossile, dressé tel un gardien de la mémoire naturelle, semble se présenter comme une pièce d’exposition, mais agit aussi comme une alerte précoce pour des destins ayant perdu leur harmonie avec leur environnement.

À droite de la salle accueillant l’atelier sur la protection de la Méditerranée, sur l’esplanade de la Cité scientifique, trône une statue d’Albert Einstein, serein, un livre entre les mains, comme méditant sur le cheminement des idées et les mutations du savoir, tandis qu’un astronaute en combinaison blanche se tient prêt, le bras tendu vers l’inconnu.

Entre une entrée évoquant le passé des extinctions et une esplanade projetant l’avenir, se croisent les pas des chercheurs, scientifiques et experts, rejoints par les journalistes environnementaux qui incarnent le pont entre la connaissance et la société. Ils ne sont pas de simples participants, mais des acteurs essentiels pour transmettre l’image de la Méditerranée, ses ressources et ses défis écologiques au monde extérieur, complétant l’effort scientifique par une mission de sensibilisation et de mobilisation vers des décisions durables.
Ainsi se compose une mosaïque maghrébine autour d’une seule question : comment sauver la Méditerranée avant qu’elle ne devienne à son tour un simple vestige dans la mémoire géologique ?

Médias et mer : de la couverture à la responsabilité

Dans son allocution d’ouverture, M. Julien Chambolle, secrétaire général de l’association Africa 21, a souligné que l’organisation de cette troisième rencontre dédiée aux journalistes maghrébins sur la protection de la Méditerranée et la gestion durable des ressources marines en 2025 n’était pas un choix fortuit, mais s’inscrivait dans le contexte des grandes mutations internationales de l’année en matière d’océans et d’environnement. Il a insisté sur l’objectif de l’atelier : renforcer le rôle des médias dans la diffusion du savoir écologique, lutter contre la désinformation et bâtir des ponts de confiance et de coopération entre experts et journalistes au service de l’intérêt général.

Il a ajouté que cet atelier constitue également le point de départ d’une campagne médiatique maghrébine commune de sensibilisation à la protection de la Méditerranée, prévue pour décembre 2025 et janvier 2026, à un moment où la lutte contre la désinformation environnementale est devenue une nécessité urgente. D’où l’engagement de l’association dans les initiatives de l’UNESCO visant à renforcer l’intégrité de l’information scientifique et écologique.

À partir de ce prisme médiatique, le débat s’est naturellement déplacé vers le cœur des enjeux scientifiques, révélant que la Méditerranée n’est pas seulement un sujet de couverture, mais un système écologique complexe nécessitant une compréhension multidimensionnelle.

La Méditerranée… une petite mer aux grandes crises

Les présentations scientifiques de l’atelier ont dressé un tableau précis de la complexité environnementale du bassin méditerranéen. Dès la première matinée, il a été rappelé que cette mer constitue l’un des « hotspots » mondiaux de biodiversité, avec un rôle majeur des aires marines protégées et des parcs nationaux dans la sauvegarde des écosystèmes fragiles. Mais cette importance écologique est contrebalancée par une vulnérabilité croissante due au changement climatique, au réchauffement des eaux et aux perturbations des courants marins.

Dans ce cadre, la Dre Monia El Bour Présidente du comité C4 auprès de la CIESM et membre du comité de pilotage auprès du MedECC.
a livré une analyse approfondie, affirmant que la Méditerranée traverse une phase critique et inédite. Depuis le Sommet de Rio en 1992 jusqu’à l’horizon de la COP30, l’écart s’est creusé entre le discours mondial sur le développement durable et son intégration réelle dans les politiques publiques. Elle a souligné que la gouvernance environnementale reste fragmentée, compliquant la gestion de problématiques intrinsèquement liées comme le climat, l’eau, la biodiversité et le développement.

Elle a rappelé que plus d’un demi-milliard de personnes vivent dans les pays méditerranéens, dont près d’un tiers sur les côtes, et que la région accueille environ un tiers du tourisme mondial. Ces pressions se traduisent par une surexploitation des ressources hydriques, des incendies de forêts, la pollution, l’urbanisation croissante, l’intensification agricole, sans oublier le changement climatique qui conduit à ce qu’elle a qualifié de « climatisation urbaine » de la Méditerranée.

La science face aux déséquilibres structurels

Partant de ce diagnostic, la Dre Monia a insisté sur la nécessité de « penser autrement », en reconnaissant la complexité des systèmes écologiques et sociaux et en adoptant une approche transdisciplinaire. Elle a mis en avant le rôle historique de la Commission internationale scientifique pour l’exploration de la Méditerranée (CIESM) dans la défense de l’indépendance de la science et de la fiabilité des connaissances.

Les suivis scientifiques de longue durée, à travers des programmes tels que HYDROCHANGES et T-MedNET, ont révélé une accélération du réchauffement des eaux, de surface comme en profondeur, accompagnée de vagues de chaleur marine provoquant des mortalités massives d’espèces, ainsi que l’introduction d’environ 986 espèces non indigènes, l’un des taux d’invasion biologique les plus élevés au monde.

Face à ces mutations, les outils numériques apparaissent comme de nouveaux leviers de compréhension et d’adaptation, à l’image du projet PRISM qui offre une visualisation tridimensionnelle des données scientifiques, soutenue par l’intelligence artificielle. Elle a averti que la fréquence des phénomènes extrêmes pourrait augmenter de 10 à 30 % d’ici le milieu du siècle, doublant les coûts d’adaptation et menaçant les infrastructures côtières.

Une mosaïque scientifique pluridisciplinaire : la Méditerranée sous des regards croisés

L’atelier a réuni des experts issus de diverses institutions scientifiques, régionales et internationales, donnant au débat une dimension intégrative. Antoine Lafitte, directeur par intérim du Plan Bleu (centre d’activité régional du Plan d’action pour la Méditerranée du PNUE), a présenté une analyse des défis structurels de la durabilité méditerranéenne, plaidant pour un passage de la logique de gestion de crise à une planification proactive fondée sur la surveillance et les scénarios.

Le volet biodiversité et aires marines protégées a été abordé par Yassine Ramzi Sghir (SPA/RAC) et Amjed khiareddine
(Notre Grand Bleu), qui ont rappelé que les réserves ne sont pas des zones d’isolement mais des outils dynamiques de reconstruction des équilibres écologiques, à condition d’impliquer les communautés locales et de relier protection et développement.

Sur la pollution plastique, Sana Ben Ismaïl (INSTM) a montré que le plastique n’est plus seulement un déchet visible mais un polluant microscopique infiltré dans la chaîne alimentaire. Nordine Zaâboub, membre du programme international GEOTRACES, a quant à lui décrit la pollution chimique comme un danger silencieux aux effets cumulatifs à long terme.

Ces analyses ont été complétées par l’intervention de Samson Biller (Plan Bleu) sur le dessalement de l’eau de mer, considéré comme une option stratégique mais risquée si elle n’est pas intégrée dans une vision globale de gestion des ressources hydriques. Monji Bourguou (Université de Tunis) a évoqué les impacts de l’urbanisation côtière non maîtrisée, tandis que Yassine Skandarani a détaillé les effets de la surpêche sur les stocks halieutiques et la sécurité alimentaire.

De l’histoire au financement : la Méditerranée entre volonté et ressources

Zekra El-Gharbi, directrice générale au ministère de l’Environnement et point focal national du Plan d’action méditerranéen, a replacé le débat dans sa dimension historique et institutionnelle, rappelant que cinquante ans de coopération ont permis des acquis importants mais insuffisants face à l’accélération des crises. Bien que la Méditerranée ne représente qu’1 % de la surface océanique, elle concentre 7 % des microplastiques mondiaux et enregistre un réchauffement supérieur de 20 % à la moyenne planétaire.

Dans le même esprit, les experts de la Banque africaine de développement, Diego Velasco et Javier Ost Fernández, ont mis en lumière le déficit de financement de l’économie bleue en Afrique du Nord, soulignant que les potentialités économiques se heurtent à des contraintes financières et structurelles, d’où la nécessité d’un rôle accru des banques de développement et de mécanismes de financement innovants.

Les médias comme pont entre science et société

L’atelier s’est conclu par une session de formation spéciale destinée aux journalistes sur l’utilisation des sources scientifiques pour produire un contenu médiatique fiable, dans le cadre du programme de soutien aux médias en Tunisie (PAMT2/DWA). Cette conclusion symbolique d’une journée entière a confirmé que la protection de la Méditerranée ne peut être assurée par la science seule, ni par les politiques uniquement, mais exige un média responsable capable de transformer le savoir en conscience, et la conscience en action.

Journée de terrain à Bizerte : explorer la mer et ses acteurs

Le troisième jour de l’atelier a été consacré à une visite de terrain à Bizerte, où les participants ont observé certains phénomènes d’érosion côtière et leurs impacts environnementaux. La tournée a également inclus la visite du musée Dar El Hout à Sidi El-Hani pour découvrir le patrimoine maritime local, ainsi que l’ancien port de pêche traditionnelle de la région, offrant aux participants une compréhension directe des activités côtières et des défis auxquels sont confrontés les milieux marins méditerranéens.

Ainsi, entre Einstein et l’astronaute, la Méditerranée elle-même est apparue suspendue entre réflexion profonde et aventure nécessaire. Soit la science se transforme en décision et les médias en force de changement, soit cette belle mer demeure prisonnière d’une gestion de crise au lieu de retrouver sa vitalité.

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